La relation maîtres-élèves en sciences sociales : transmission, empreintes, emprunts

Abstract

Dans l’historiographie des sciences sociales, on oublie facilement que la plupart de ceux qui font figure de « maîtres » furent d’abord des étudiants. Ce faisant, on rompt artificiellement le fil de la transmission intellectuelle en partant d’un homme (ou d’une femme) « arrivé », comme s’il était un point de départ. Grave erreur : un maître a toujours reçu des influences, subi des magistères, effectué des lectures et des rencontres intellectuelles fortes qui l’ont amené à être ce qu’il est. Pensons à John Stuart Mill, présenté comme le « fondateur » de l’économie politique moderne. Qui veut bien se souvenir qu’il fut modelé par un père obsessionnel, James Mill, voulant faire de son fils un représentant vivant de l’utilitarisme, une doctrine qu’il jugeait parfaite, et qu’il entreprit d’associer son ami Jérémy Bentham à cette éducation expérimentale ? L’autobiographie de Mill, à la fois poignante et stupéfiante, constitue le corpus de l’article d’Emmanuel Petit dans ce dossier. Elle démontre à quel point l’emprise d’un maître-père peut être absolue, et à quel point il est difficile pour un élève, davantage encore quand c’est un fils, de s’en défaire un jour. On sait l’imprégnation des catégories scolaires sur nos cerveaux en gestation ; la marque de l’éducation structurante est encore plus indélébile quand il s’agit d’un travail systématique, initié avant même les premières articulations langagières, quand se mêlent et s’entremêlent le psychologique, l’affectif et le cognitif. Mill est un cas d’école, et assurément un cas limite ; mais il n’est pourtant pas unique, loin s’en faut …