Processus de naturalisation des échelles et oppositions aux espaces protégés : la modernité en question
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Espaces protégés et territoires. Conflits et acceptation. 2014
Belin
Résumé
La dichotomie populations locales / populations exogènes (insiders / outsiders en anglais) est une des dichotomies préférées des études sur les Parcs nationaux. Les populations locales seraient, dans nombre d’études sur ...Lire la suite >
La dichotomie populations locales / populations exogènes (insiders / outsiders en anglais) est une des dichotomies préférées des études sur les Parcs nationaux. Les populations locales seraient, dans nombre d’études sur les Parcs nationaux, victimes de l’imposition d’un modèle de gestion de l’espace qui leur serait très largement étranger. Le territoire de protection a en effet deux caractéristiques fortes qui ne rencontrent pas forcément les logiques des populations locales : il s’agit d’abord d’une forme spatiale particulière, celle d’une portion d’espace bornée et sur laquelle s’exerce un pouvoir qui se présente comme (seul) légitime – en un mot, un territoire. Sur ce territoire, les usages sont très réglementés, réglementation qui presque forcément entre en conflit avec les pratiques des populations locales. De ce fait, on comprend que dans bien des cas, l’arrivée d’un parc national soit vécu comme une ingérence inacceptable par des populations qui se voient qualifier de prédatrices pour le milieu qu’elles exploitent, au moins le suppose-t-on, de temps immémoriaux, et sur lequel elles ne peuvent plus maintenir les même usages. Outre ces réalités, les modes scientifiques vont dans le sens d’une mise en évidence des injustices socio-spatiales dont sont victimes les populations locales. Le post-colonialisme, qui cherche à dépasser les fondements, en particulier langagiers, du colonialisme, constitue un puissant paradigme dans lequel positionner une étude contestatrice des violences, symboliques et matérielles, contre les populations locales que constitue la création d’un espace protégé. De même, la réhabilitation des populations locales que l’on observe actuellement dans la littérature, populations qui de protectrices de leur arrière-cours (comme le stigmatise le fameux nimbysme) sont devenues des habitants légitimes pour contester l’imposition brutale de politiques par l’État, contribue à ce mouvement en faveur des populations locales. Bien que fondée dans bien des cas sur des réalités qu’on ne peut nier, nous voudrions, dans cette communication, questionner la valeur universelle de la dichotomie population locales / populations exogènes en insistant sur la diversité qui caractérise chacune des échelles réifiées dans cette perspective, et ainsi inviter à une étude plus fine de chaque contexte d’opposition à un espace protégé. Notre argumentation est fondée sur deux études de cas qui nous paraissent symptomatique de ces oppositions aux espaces protégés :Le premier cas se situe dans les Pyrénées françaises. Il s’agit d’un conflit né entre ceux que l’on peut rapidement qualifier de populations locales et l’UNESCO au sujet de la tenue d’un événement théâtral en plein air sur un site classé au patrimoine mondial. Le Cirque de Gavarnie, joyau du Parc national des Pyrénées, a été, avec sa partie espagnole, classé patrimoine mondial de l’humanité en 1997 grâce à l’action volontaire d’une association (l’association Gavarnie – Mont Perdu Patrimoine Mondial) dirigée par une figure du Pyrénéisme, Patrice de Bellefon. Ce classement, présenté aux collectivités locales comme pouvant apporter une plus-value en termes touristiques, s’est cependant révélé incompatible avec un événement culturel qui se tient dans le site même du Parc, un festival de Théâtre en plein air. Argumentant que le Festival implique l’installation d’un lourd matériel et la circulation de nombreux véhicules, l’Unesco a mis en demeure la Mairie de Gavarnie de déplacer le Festival de quelques centaines de mètres sous peine de perdre le label de Patrimoine mondial. La réaction du Maire de Gavarnie a été l’occasion de la réactivation de l’opposition populations locales / populations extérieures qui a longtemps caractérisé les relations entre les mairies et le Parc national des Pyrénées, sauf que cette fois-ci les extérieurs sont les membres de l’association Gavarnie – Mont Perdu et l’Unesco. Cette opposition, qui a rapidement tourné à l’opposition de principe, ne doit cependant pas faire oublier que ce qui est en jeu c’est surtout un conflit d’usage entre deux types d’usagers des ressources locales : d’une part les représentations légitimement élus des résidents de la commune de Gavarnie ; d’autre part des usagers de la montagne fédérés au sein d’une association 1901 qui réclament, au nom d’une certaine vision des Pyrénées, le droit d’influer sur sa gestion – et s’associent pour ce faire à une instance internationale, l’Unesco. L’échelle internationale, en l’espèce, n’existe que parce qu’elle est associée au local et ne représente pas, loin s’en faut, l’ensemble des acteurs agissant au niveau international. Le second cas est brésilien. Il s’agit des réactions de certaines populations locales à la création d’une mosaïque d’espaces protégés en Amazonie orientale. Devant l’avancée de la déforestation dans cette région d’Amazonie, avancée qui se fait en dehors de tout contrôle étatique, l’État fédéral brésilien a décidé de s’approprier la gestion des zones encore en forêt en leur conférant différents statuts de protection – de la réserve intégrale à la « zone d’usage durable » en passant par des Parcs nationaux. Ces statuts heurtant bien entendu les intérêts de ceux qui tirent un profit immédiat de l’exploitation des ressources naturelles forestières – les exploitants forestiers et les grands propriétaires fonciers qui implantent des pâturages après les forêts, les fazendeiros –, ces derniers se sont coalisés contre la création de ces aires protégées en s’en prenant à l’acteur international. En effet, leur opposition a été l’occasion de réactualiser la vieille crainte d’un complot visant à l’internationalisation de l’Amazonie, qui s’effectuerait grâce à la complicité active du Parti des Travailleurs au pouvoir à « Brasilia » et à l’Eglise catholique – au détriment bien évidemment des populations locales. Pourtant, une étude détaillée de l’argumentaire employé pour s’opposer à la création de ces espaces protégés révèle d’abord que les intérêts des populations locales ne sont pas tous dans le déboisement, et que certaines populations peuvent tirer un bénéfice de la protection des forêts. La diversité du local, qu’on ne saurait oublier, fait que certaines franges de la population peuvent faire alliance avec ceux qui cherchent à implanter des zones protégées. D’autre part, l’acteur international joue sans doute un rôle dans l’implantation des zones protégées, mais plus en tant qu’inspirant des politiques environnementales qu’en les appliquant directement. L’acteur majeur de la création de ces réserves est une partie de l’État fédéral brésilien, en conflit avec d’autres secteurs de l’État et qui, dans ce cas précis, fait alliance avec certains représentants des populations locales ; s’opposent à lui les acteurs économiques de la déforestation déjà cités, qui ont une alliance avec d’autres secteurs de l’État fédéral, une partie importante de l’État fédéré du Pará et, indirectement, avec les forces du marché qui tirent profit de la déforestation – et qui sont, elles, situées à tous les niveaux scalaires. Car l’acteur international est, par le biais du marché qu’il maintient dans le cadre du système capitaliste, un acteur puissant de la déforestation. Ce que ces exemples nous amènent à conclure, c’est que la notion d’échelle, et plus particulièrement l’opposition entre échelles, est bien peu opératoire pour décrire les phénomènes en jeu dans l’opposition à un Parc national. Certes, certaines populations exploitant directement les espaces mis en protection voient leurs droits sur les territoires restreints, mais cela n’est pas le fait de l’ingérence d’un extérieur tout puissant, pas plus que ces populations locales ne doivent être perçues comme homogènes et victimes de cet extérieur. L’application des politiques affichées comme ayant une vocation environnementale est un processus complexe, impliquant des acteurs reliés en réseaux à différents niveaux scalaires et dont la finalité n’est bien entendu pas toujours la protection de l’environnement.< Réduire
Mots clés
Echelles
Parcs nationaux
Acceptabilité
Gavarnie
Amazonie
Brésil
Guaranis
Origine
Importé de halUnités de recherche