Comprendre et transformer le travail dans le contexte d'un usage contrôlé des pesticides
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FR
Autre communication scientifique (congrès sans actes - poster - séminaire...)
Ce document a été publié dans
XII Congreso Internacional de Ergonomía de la Sociedad Chilena de Ergonomía – Universidad de Atacama, 2021-10-27, Copiapó. 2021-10
Résumé
INTRODUCTION La question de l’analyse des expositions aux pesticides dans les conditions réelles d’usage des produits phytopharmaceutiques représente des enjeux forts en termes de prévention des risques professionnels en ...Lire la suite >
INTRODUCTION La question de l’analyse des expositions aux pesticides dans les conditions réelles d’usage des produits phytopharmaceutiques représente des enjeux forts en termes de prévention des risques professionnels en milieu agricole (Anses, 2016). En s’appuyant sur le concept d’activité utilisé en ergonomie pour affiner la compréhension des situations de travail, l’ergotoxicologie vient compléter et discuter les modèles dominants de prévention du risque pesticides en documentant les expositions dans le travail tel qu’il se fait (Garrigou, 2011 ; Garrigou et al. 2010 ; Garrigou & Mohammed-Brahim, 2009 ; Mohammed-Brahim, 1996 ; Sznelwar, 1992). L’approche ergotoxicologique permet de démontrer des écarts importants entre le niveau d’exposition prédit (à partir des procédures de traitement phytosanitaire prescrites), le type d’exposition encadré par les règles de sécurité prescrites (règles établies pour une tâche ou pour un produit phytopharmaceutique) et le niveau ou le type d’exposition que révèle l’analyse de l’activité dans les situations à risque pesticides (Jolly, 2021 ; Goutille, 2021 ; Baldi et al., 2012 ; Garrigou, 2011 ; Mohammed-Brahim, 1996 ; Sznelwar, 1992). Tel qu’il est conçu et centré sur les opérations de travail, le modèle d’intervention ergotoxicologique (Mohammed-Brahim, 2014) ne permet pas à lui seul d’agir sur l’ensemble des mécanismes de production des situations à risques pesticides (Garrigou, 2011 ; Goutille, 2021). Certains des mécanismes qui conditionnent les expositions à l’échelle de l’exploitation agricole (dans des espace-temps à la fois professionnels et personnels), appelés « déterminants sociaux des expositions » (Garrigou, 2011), nécessitent d’être documentés là où s’organisent et se conçoivent les règles et les outils de travail des professionnels agricoles. OBJECTIF Les résultats de la recherche-intervention que nous allons présenter réaffirment qu’un des défis actuels de l’ergonomie est de ne pas rester focalisée « sur des dimensions organisationnelles et productives situées stricto sensu dans le périmètre des entreprises » (Pueyo, 2020, p. 59). Les enjeux politiques, sociaux, économiques et technologique constituent des dimensions de l’activité viticole qui doivent nécessairement être considérés comme « des éléments à part entière des milieux de travail », comme des éléments qui font « sens pour les acteurs » et qui font « partie du système de travail » (Ibid.). Mobiliser les « personnes en activité » (Vézina, 2001) par l’ « analyse partagée des expositions et de leurs déterminants » (Goutille, 2021) s’est révélé essentiel pour transformer le travail et agir en prévention des risques à différentes échelles. L’originalité du travail qui va être présenté dans cet article est de proposer une articulation entre analyse des expositions aux pesticides dans les opérations de travail et analyse des mécanismes de production des expositions du point de vue des personnes en activité. Ce travail sous la forme d’une étude de cas interroge le champ d’action de l’ergonomie pour agir en prévention. Il ouvre des pistes de réflexion pour le développement de démarches de prévention et d’intervention qui accompagnent les agriculteurs dans la « reprise en main de leur travail » (Clot, 2010). MÉTHODOLOGIE La méthodologie mise en œuvre combine des méthodes et techniques de recherche et d’intervention provenant de plusieurs courants disciplinaires (ergonomie, anthropologie, clinique de l’activité). La première étape a consisté à documenter les entrées en contact avec les pesticides au sein de chacune des entreprises de la recherche-intervention. Les observations instrumentées (vidéo de l’activité et métrologie des pesticides) ont été construites avec les professionnels et réalisées au sein de leurs environnements de travail et de vie. Les images de l’activité et les résultats de la métrologie ont ensuite été mobilisés pour animer les séances d’auto-confrontation et de confrontation croisée (Theureau, 1992 ; Clot, 2001). Ils ont été utilisés comme objet intermédiaire de dialogue (Judon, 2017) pour documenter collectivement l’activité de travail et les situations à risques pesticides. La deuxième étape a consisté à réunir les professionnels des diverses entreprises. Au sein d’ateliers animés par l’ergonome, les conditions de production des situations à risque pesticides ont été analysées de manière plurielle. Des maquettes, accompagnées de cartes repères, ont permis aux professionnels viticoles d’ « expliciter l’activité » (Leplat, 2008) et de mettre en mot les « situations critiques » rencontrées pour penser leur transformation (Caroly, 2002 ; Caroly & Weill-Fassina, 2004). RÉSULTATS L’analyse partagée des expositions a permis de repérer de multiples entrées en contact avec les pesticides dans les activités de travail et de vie des professionnels viticoles. Nous présenterons un tableau de résultats des observations instrumentées pour montrer comment le risque pesticides, diffus et indirect, mérite d’être appréhendé dans le flux de l’activité des professionnels exploitants utilisateurs de produits phytopharmaceutiques (au-delà de l’évaluation du risque pesticides centrée sur une opération de travail). L’intervention proposée a permis aux professionnels de réaliser par eux-mêmes les observations instrumentées au sein de leur exploitation. Les chercheurs-intervenants et les professionnels ont de cette manière travaillé ensemble ; à partir des observations instrumentées (conception, réalisation et analyse) ils ont pu documenter les situations à risques pesticides ainsi que les contraintes relatives à l’usage des produits phytopharmaceutiques pour penser la transformation du travail (aménagement des espaces, organisation du travail, conception partagée de nouveaux équipements de traitements). Le risque pesticides, souvent attribué aux mauvaises pratiques des professionnels, est à relier à la conception des équipements phytopharmaceutiques (produits, matériel de traitement et de protection). Outre la performance, c’est la santé des personnes qui en vient à être impactée par des matériels et des normes mal-conçus et pourtant promus comme protecteurs des utilisateurs et de l’environnement. Les professionnels viticoles ont fait part de diverses contraintes qu’ils rencontrent et cherchent à contourner dans leur activité. Ces contraintes traversent l’activité et viennent révéler des « conflits de buts » (Caroly, 2002, 2010 ; Nascimento & Falzon, 2009) entre production et protection, et entre protection et préservation, de la vigne, du matériel, des personnes, de l’entreprise, du territoire de l’environnement et de la santé. Ces contraintes qui s’imbriquent et interagissent entre elles sont peu dissociables du point de vue des personnes en activité. Il s’agit plus d’un ensemble de processus qui peut mener à des situations critiques que de contraintes ou de risques indépendants les uns des autres. À partir d’une situation concrète de travail décrite par un des professionnels, nous montrerons comment l’ensemble des professionnels peut en arriver à se sentir responsable des erreurs entrainées par un système qui les dépasse. Nous discuterons de comment, au final, dans un contexte de production et de conception réglées, le professionnel viticole engage son corps pour « rattraper les erreurs de systèmes complexes » et se voit attribuer une place d’« opérateur de fiabilité » (De Terssac & Chabaud, 1990). Ce dernier point sera l’occasion de discuter de la posture de l’ergonome et de la nécessité d’accompagner les agriculteurs à la transformation de leur travail à différentes échelles. CONCLUSIONS Les mesures de prévention construites en vue d’un « usage contrôlé des pesticides » (Jouzel, 2019), avec une gouvernance par les « bonnes pratiques » des utilisateurs, se traduisent le plus souvent par des contraintes multiples au niveau du travail réel. Telles qu’elles sont réglées, la production, la conception et la prévention en milieu viticole réduisent la possibilité des personnes en activité de pouvoir contribuer à la transformation de ce qui leur pose problème. Pour transformer le travail et apporter des critères utiles à la définition des orientations futures de la prévention, il nous semble essentiel que l’intervention ergonomique puisse contribuer à relier les contraintes que les professionnels rencontrent aux systèmes qui en arrivent à produire des situations critiques au niveau opérationnel. L’articulation entre les préoccupations des professionnels et celles des chercheurs-intervenants est venue questionner la démarche ergotoxicologique et plus largement les expérimentations démocratiques à propos du rôle de la recherche en ergonomie dans la mise en mouvement d’individus et de collectifs. Dans ce cadre de réflexion, la documentation des contraintes vécues par les professionnels au niveau opérationnel vise à convaincre, les décideurs, et nous, « tous prescripteurs du travail des agriculteurs » (Béguin, Dedieu et Sabourin, 2011), qu’il est essentiel d’améliorer l’existant en termes de prévention du risque pesticides et plus largement en termes de promotion de la santé en milieu agricole. En ces termes, l’intervention ergonomique reliant l’opérationnel au structurel cherche à contribuer à la conception d’ « environnements de travail débattables », où les « inventions quotidiennes » des professionnels « sont discutées et peuvent être intégrées à la structure de telle sorte que la conception se poursuive dans l’usage » (Arnoud & Falzon, 2013, p. 226). Les mutations du travail observées en viticulture repoussent les frontières de l’ergonomie et les questions à traiter pour accompagner les professionnels dans la prévention des risques pesticides. Les enjeux subjectifs (usages de soi, conflits de buts) qui s’imbriquent aux modèles de production, de conception et de prévention, implique d’élargir le périmètre de l’analyse du travail et de l’intervention à l’échelle du territoire national et local. L’intervention ergonomique dans ses différentes dimensions, réflexive, projective et prospective, a un rôle clé à jouer pour documenter l’ « épaisseur du travail » des agriculteurs et « promouvoir leurs capacités d’innovation majeures » (Béguin, Dedieu et Sabourin, 2011). Nos résultats montrent que l’intervention ergonomique peut accompagner les personnes en activité à transformer leur travail au sein de leur entreprise tout en investissant des dimensions de l’activité plus macro pour les soutenir dans la conception des règles qui définissent leur métier.< Réduire
Mots clés
Viticulture
Ergotoxicologie
Santé au travail
Conception des équipements
Mots clés en anglais
Pesticides
Vineyards
Ergotoxicology
Occupational health
Equipment design
Unités de recherche