Taine indiscipliné, mais discipliné; Les voies de l’assignation disciplinaire d’un auteur dans les bibliothèques

Abstract

Dans cet article, nous cherchons à montrer que l’assignation d’un auteur à une discipline est objectivée en premier lieu par un travail institutionnel trop souvent négligé dans les enquêtes de sciences sociales, celui des bibliothécaires, qui classent les savoirs et inscrivent les œuvres, ouvrage par ouvrage, dans les catégories des cotations en vigueur. Tel fut le cas de l’œuvre de Taine, inscrite dans les « cotations matières » de la Sorbonne-ENS et de la BnF, cotations Philippe Le Bas pour la première et cotation Clément pour la seconde. Elles ont « fait » de lui un auteur plutôt littéraire (ENS) ou plutôt historien (BNF). En outre, dans une seconde partie de notre réflexion, nous avons adopté un point de pragmatiste en considérant que les usagers-lecteurs participent du processus d’assignation disciplinaire : si Taine est utilisé surtout par des lecteurs philosophes (identifiés comme tels), il devient de facto un auteur de philosophie. Symétriquement, s’il est peu utilisé par les usagers inscrits eux-mêmes en Histoire et en Littérature, c’est qu’il ressortit peu de leurs disciplines. Cette enquête a pu être menée après avoir identifiée les affiliations disciplinaires des lecteurs de Taine à la Bibliothèque de la Faculté de Lettres de Bordeaux, entre 1889 et 1902. Ainsi, une œuvre est assignée aux disciplines instituées de deux manières : une première fois, en ante, par le travail des bibliothécaires ; une seconde fois, ex post, par ses lecteurs-usagers.