"Il est un meilleur roi que le roi d'Angleterre". Note sur la diffusion et la fonction d'une rumeur dans la paysannerie du Bordelais au XIIIe siècle
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fr
Chapitre d'ouvrage
Ce document a été publié dans
La rumeur au Moyen âge. Du mépris à la manipulation, Ve-XVe siècles. 2011p. 279-291
Presses Universitaires de Rennes
Résumé
En 1237, dans le procès verbal d'une enquête diligentée par le roi d'Angleterre et duc d'Aquitaine Henri III sur les excès commis par ses baillis en Entre-deux-Mers bordelais, un passage rapporte des accusations contre le ...Lire la suite >
En 1237, dans le procès verbal d'une enquête diligentée par le roi d'Angleterre et duc d'Aquitaine Henri III sur les excès commis par ses baillis en Entre-deux-Mers bordelais, un passage rapporte des accusations contre le sénéchal Henri de Trubleville accusé de se substituer au roi en nommant lui-même un sous-sénéchal : « Cependant comme un sous-sénéchal est nommé contrairement à l'antique coutume de la terre, celui qui désigna un sénéchal pour le remplacer [c'est à dire le sénéchal lui-même] s'érigea en roi, ainsi qu'il le dit lui-même à maintes reprises comme beaucoup de bons hommes l'ont entendu ; [qu'en plus ] il était un meilleur roi que le seigneur roi d'Angleterre, qu'il n'en ferait pas davantage en sa faveur pour rien ; et il dit davantage encore de plus honteux qu'il est digne de rapporter ». Cette phrase, pas toujours très claire, véhicule une autre accusation selon laquelle le sénéchal aurait dévalorisé le souverain en se considérant meilleur que lui. À notre connaissance, il s'agit de la première mention d'une critique contre la personne du monarque dans la documentation régionale, avant la grande révolte de la fin des années 1240 focalisée contre le lieutenant du roi, son beau-frère Simon de Monfort. À ce titre, parce qu'ils peuvent constituer une forme d'expression de ce que d'aucun appellent l'opinion publique, ces propos méritent d'être examinés, ne serait-ce que parce que la critique du pouvoir en général pose le problème de l'existence d'un « espace public », au sens habermassien. Au même moment ou peu s'en faut, des pamphlets circulant contre Blanche de Castille entre 1228 et 1231, accusée de prévarication et d'avoir de mauvaises moeurs, sont considérés comme une des premières expressions de l'opinion publique en France, « par des manifestations ouvertes, des jugements populaires collectifs, spontanés ou non, sur les affaires du royaume et le comportement des gouvernants ». Dans une veine plus imagée, on connaît aussi l'opinion collectif des Gascons coalisés dans la ligue de Pons vis-à-vis des sentiments d'Henri III à leur endroit, rapporté par un habitant de la Rochelle dans une lettre au roi de France en 1241 : « ils font ce qu'ils veulent car, pour le roi des Anglais, que ce soit à Bordeaux ou à Bayonne, ce qu’ils font ne vaut pas un œuf ». Le contexte est donc à l’émergence d’une opinion critique sur le souverain.Les propos d’Henri de Trubleville sur le roi Henri III peuvent être considérés comme une information à la limite de la rumeur ou inversement. En effet, ils n’ont pas été consignés directement de la bouche des « bons hommes ». Leur origine n’est pas bien connue, puisque ceux qui déposent devant les enquêteurs sont présentés derrière le terme de « jurés » ou l’expression « les plus anciens de cette terre », jamais comme des « bons hommes ». Il est vrai que parmi les jurés, dont on verra qu’ils se font fréquemment les porte-parole des élites rurales, comptent probablement ceux que l’on appelle communément des « bons hommes ». Pour autant, et on tient à le souligner, l’information n’arrive qu’indirectement aux oreilles desenquêteurs. Parallèlement, la même enquête révèle d’autres rumeurs pour lesquelles l’attitude des commissaires royaux est différente. Ce cas permet donc de répondre à quelques unes des interrogations qui nous réunissent sur les circonstances dans lesquelles naît une rumeur au XIIIe siècle, sur ses canaux de diffusion, sur l’attitude des autorités à son encontre, sur l’usage qu’en font les acteurs sociaux comme sur celui des historiens qui cherchent, grâce à elle, à mieux appréhender les groupes sociaux.Nous nous arrêterons dans un premier temps sur les auteurs supposés de ces propos afin de comprendre le ressentiment qu’ils focalisent. Puis, en nous attachant au traitement de la critique faite au roi dans cette enquête, il s’agira de restituer toute la singularité de cette rumeur et de réfléchir à la notion de rumeur interdite. Nous terminerons avec ses émetteurs, le groupe des « bons hommes » et les enjeux sociaux qu’elle mobilise chez eux.< Réduire
Mots clés
XIIIe siècle
Bordelais
paysannerie
France
Rumeur
Origine
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