Violences numériques ordinaires et résistances discrètes : la face obscure des communications organisationnelles
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Résumé
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Violences numériques ordinaires et résistances discrètes : la face obscure des communications organisationnellesRésumé des travaux réalisés en vue de l’obtention de l’habilitation à diriger des recherches en sciences de l’information et de la communicationAurélie Laborde, maître de conférences en 71ème section, laboratoire MICA, axe COSGarante : Valérie CarayolMembre du jury : Yanita Andonova, Françoise Bernard, Christian Bourret, Valérie Carayol, Christian Le Moënne, Valérie Lépine, Vincent LiquèteSoutenance le 14 décembre à 14h30, Salle des thèses, Maison de la recherche.Les trois documents présentés en vue de l’obtention de l’habilitation à diriger des recherches proposent une relecture de plus de vingt ans de recherches, d’enseignements et d’engagements collectifs à l’université Bordeaux Montaigne et dans des instances nationales en sciences de l’information et de la communication.Nos travaux de recherche s’articulent autour d’un socle commun : les mutations sociales et organisationnelles associées au développement des dispositifs numériques de communication. Ils s’inscrivent dans une perspective critique qui met en lien ces transformations avec les évolutions de la société marquée par la pensée néolibérale. La relecture de ces travaux permet d’identifier une progression des perspectives critiques, des méthodologies, et plus globalement de l’épistémologie qui les sous-tend. Elle permet également d’ouvrir la discussion sur plusieurs questions nouvelles dans le champ de la communication organisationnelle.Nos programmes de recherche sont revisités à l’aune d’objets peu traités dans le champ de la communication organisationnelle en France : les phénomènes oubliés, non débattus, qui ne font plus « évènement » ou sont cachés dans les organisations du travail. Cette réflexion nous amène à développer de nouveaux concepts autour de la violence et de la résistance en organisation et une démarche de « recherche action collaborative » qui permet de prendre au sérieux et d’éclairer ces pratiques laissées dans l’ombre et de viser l’apprentissage organisationnel et la transformation.Dans le vaste panorama des recherches critiques en organisation, un champ anglo-saxon récent - les Organizational Darkside Studies - revendique explicitement une analyse des côtés « sombres » et « obscurs » des organisations. Ces productions, avec d’autres, permettent d‘enrichir et de renouveler les perspectives critiques dans le champ de la communication organisationnelle et notre approche des questions de vulnérabilité et de souffrance au travail. Elles abordent notamment sous un nouvel angle les problèmes éthiques, politiques et idéologiques, généralement négligés, ignorés ou déniés dans les organisations, et proposent de prendre au sérieux les « pratiques de l’ombre ». Les formes de violence et de résistance qui sont mises au jour et discutées dans ce travail relèvent ainsi de la « face obscure » des organisations. Elles sont souvent considérées comme négatives ou non éthiques, elles sont également invisibles, cachées, passées sous silence, ou déniées, dans les organisations, à la fois par le management et les salariés. Nous cherchons à éclairer ces pratiques non pas pour les corriger ou les adapter, mais pour observer ce qu’elles nous disent des représentations et des transformations du travail, des jeux de pouvoir dans les organisations post-disciplinaires, et des alternatives possibles. Les violences numériques ordinaires au travail rendent compte d’un ensemble de phénomènes que nous observons depuis plusieurs années sur nos différents terrains de recherche et dans notre quotidien professionnel. Elles traduisent des transformations profondes des formes de communication et de coopération au travail, sur fond de crise des modèles managériaux. Il s’agit de violences relationnelles, médiatisées par notre équipement numérique, qui ne font plus « évènement », sont invisibles et largement tolérées dans les organisations. Nous les qualifions de « violences » dans la mesure où elles produisent de la souffrance, que celle-ci soit intentionnelle ou non, conscientisée ou non par les acteurs. Ces violences s’appuient à la fois sur des contextes organisationnels et sociaux qui euphémisent et rendent acceptables et banales ce type de pratiques, et sur des potentialités des technologies numériques qui facilitent l’ambiguïté, diluent l’intentionnalité et accentuent la souffrance. Dans ce contexte, certaines pratiques de communication participent au « masquage » et à l’euphémisation de ces violences. Le choix du terme « violence », que nous discutons, permet également, dans la perspective d’une recherche action collaborative à visée transformative, de se dégager de la vision fataliste d’une souffrance irréversible, comme fruit d’un « système » contre lequel il est impossible de lutter, et de réaffirmer l’importance du pouvoir d’agir des acteurs. L’invisibilisation de ces formes de violence repose sur un processus de banalisation dont nous cherchons à identifier les leviers pour pouvoir le déconstruire, dans l’objectif de restaurer la réflexivité organisationnelle et de rendre l’ordinaire des organisations in-tranquille. Le second objet que nous proposons à la réflexion concerne les résistances discrètes en contexte professionnel. En nous appuyant sur nos recherches passées et sur de nouveaux travaux, nous nous intéressons simultanément aux résistances aux technologies qui équipent le travail et aux potentialités des technologies pour soutenir et actualiser les processus de résistance. Cette réflexion nous permet de revaloriser la question des résistances dans les recherches en sciences de l’information et de la communication, alors même que celles-ci se font de plus en plus discrètes et pour certains auraient disparues du champ des organisations du travail. Les nouvelles formes de résistance sont indissociables des formes de pouvoir propres aux organisations post-disciplinaires, relevant majoritairement de luttes discrètes et symboliques. Nous proposons d’analyser ces résistances dans leurs dimensions positives et créatrices, à la fois comme révélatrices des évolutions organisationnelles, et porteuses de modèles alternatifs, de réinvention des formes d’organisation du travail et d’usages des technologies numériques. Envisager la résistance comme un processus dynamique nous permet également de montrer l’importance des formes de résistances discrètes, détournées, invisibles, les micro-résistances. Celles-ci doivent être prises au sérieux comme potentiellement porteuses de mobilisations plus larges, plus visibles et de transformations. Les lectures et les réflexions qui ont conduit à la production de ce travail confortent également notre choix de poursuivre une recherche engagée au plus près des praticiens et des organisations à travers des recherches action collaboratives que nous définissons et documentons. Cette approche nous semble particulièrement pertinente dans un contexte de transformation continue des organisations sous l’impulsion des évolutions numériques, économiques et gestionnaires. Les situations d’incertitudes intenses qui caractérisent les pratiques professionnelles actuelles, renforcées par l’avènement du travail hybride, nécessitent d’observer les organisations au plus près, d’interroger les points de vue, les incertitudes et les dilemmes éthiques des acteurs, dans le temps long d’une relation de confiance. Cette démarche répond également à une demande des praticiens d’être actifs et impliqués dans la production de connaissances. L’approfondissement des questions méthodologiques et épistémologiques se rapportant à nos recherches action collaboratives met en avant un ensemble de notions : savoirs investis, savoirs institués, connaissances pratiques en désadhérence, objectivations enracinées. Celles-ci nous permettent de mettre en perspective notre pratique scientifique de terrain, tout en essayant d’en évaluer la nature et la portée et en interrogeant la validité des connaissances construites dans des dispositifs innovants.Les perspectives critiques que nous développons et argumentons dans ce travail s’attachent simultanément aux formes de domination et de résistance, aux structures qui contraignent comme au pouvoir d’agir et à la réflexivité des acteurs et des collectifs de travail. Elles s’autorisent à produire une critique sociale au plus près des acteurs, en se fondant sur les critiques ordinaires, discrètes, quelquefois résignées, mais bien présentes dans les organisations. Elles proposent enfin, au-delà de la mise au jour et de la dénonciation des phénomènes inacceptables dans les organisations, de se préoccuper des effets critiques de la recherche, à travers la mobilisation des praticiens, pour soutenir, expérimenter et diffuser les connaissances produites tout au long du processus de construction de la recherche, dans une optique de transformation. Dans ce contexte, la communication des organisations, envisagée à la fois comme gouvernement et comme pratique productive, peut participer à masquer et à rendre invisibles certaines pratiques et certains phénomènes, elle peut également transformer, mettre en lumière et faire évoluer les représentations. Les pratiques de communication sont envisagées dans ce travail non seulement comme constitutives des organisations, mais également comme mode de formation et de légitimation des pratiques de pouvoir à travers les luttes pour le sens et les identités, et comme valeur économique essentielle de la production capitaliste contemporaine. L’incommunication, les conflits, comme les pratiques de communication cachées, inattendues ou non éthiques, s’ils sont souvent négligés, oubliés ou passés sous silence dans les entreprises, participent pleinement au processus d’organizing, aux pratiques de pouvoir et à la production symbolique des organisations. S’intéresser aux troubles, aux dysfonctionnements, aux pathologies de la communication ou à ses pratiques invisibles, cachées, tues, nous permet ainsi d’analyser l’évolution des relations au travail et plus globalement de l’organisation du travail. Les travaux proposés se divisent en trois documents : une présentation réflexive et synthétique de vingt ans de recherches en sciences de l’information et de la communication intitulée « De l’imaginaire des technologies numériques aux violences numériques ordinaires et aux résistances cachées en contexte de travail » (volume 1, 60 pages) ; une présentation critique d’une sélection raisonnée de travaux intitulée « Violences numériques ordinaires et résistances discrètes : la face obscure des communications organisationnelles » (volume 2, 283 pages) ; un curriculum vitae détaillé d’une trentaine de pages.< Réduire
Résumé en anglais
Ordinary digital violence and discreet resistance: the dark side of organisational communicationsSummary of work carried out to obtain the habilitation to direct research in information and communication sciencesAurélie ...Lire la suite >
Ordinary digital violence and discreet resistance: the dark side of organisational communicationsSummary of work carried out to obtain the habilitation to direct research in information and communication sciencesAurélie Laborde, lecturer in the 71st section, MICA laboratory, COS axisSupervisor : Valérie CarayolJury members: Yanita Andonova, Françoise Bernard, Christian Bourret, Valérie Carayol, Christian Le Moënne, Valérie Lépine, Vincent LiquèteDefence on 14 December at 2.30pm, Salle des thèses, Maison de la recherche.The three documents presented for the habilitation offer a review of more than twenty years of research, teaching and collective commitments at Bordeaux Montaigne University and in national institutions in information and communication sciences.My research work is built around a common foundation: the social and organisational changes associated with the development of digital communication systems. It takes a critical approach, linking these transformations to changes in society marked by neo-liberal thinking. By re-reading these works we can identify a progression in critical perspectives, methodologies and, more generally, the epistemology that underpins them. It also opens up discussion on a number of new questions in the field of organisational communication.My research programmes are being revisited in the light of subjects that have received little attention in the field of organisational communication in France: phenomena that have been forgotten, not debated, that no longer make the news or are hidden in work organisations. This reflection has led us to develop new concepts around violence and resistance in organisations, and a 'collaborative action research' approach that makes it possible to take seriously and shed light on these practices left in the shadows, and to aim for organisational learning and transformation.In the vast panorama of critical organisational research, a recent Anglo-Saxon field - Organizational Darkside Studies - explicitly claims to analyse the 'dark' and 'obscure' sides of organisations. These and other works enrich and renew critical perspectives in the field of organisational communication and our approach to issues of vulnerability and suffering at work. In particular, they take a new look at the ethical, political and ideological issues that are generally neglected, ignored or denied in organisations, and suggest that we take 'shadow practices' seriously. The forms of violence and resistance that are uncovered and discussed in this work are thus part of the 'dark side' of organisations. They are often seen as negative or unethical, and they are also invisible, hidden, passed over in silence, or denied, in organisations, by both management and employees. We are seeking to shed light on these practices, not in order to correct or adapt them, but to observe what they tell us about representations and transformations of work, power games in post-disciplinary organisations, and possible alternatives. Ordinary digital violence in the workplace reflects a range of phenomena that I have been observing for several years in my various research fields and in my day-to-day work. They reflect profound changes in forms of communication and cooperation at work, against a backdrop of crisis in managerial models. This is relational violence, mediated by our digital equipment, which is no longer an 'event', but is invisible and widely tolerated in organisations. We call it 'violence' insofar as it produces suffering, whether intentional or unintentional, and whether or not the people involved are aware of it. This violence is based both on organisational and social contexts that euphemise this type of practice and make it acceptable and commonplace, and on the potential of digital technologies that facilitate ambiguity, dilute intentionality and accentuate suffering. In this context, certain communication practices help to "mask" and euphemise this violence. The choice of the term 'violence', which we are discussing, also makes it possible, from the perspective of transformative collaborative action research, to move away from the fatalistic view of irreversible suffering as the result of a 'system' against which it is impossible to fight, and to reaffirm the importance of the power of actors to act. The invisibility of these forms of violence is based on a process of trivialisation, the levers of which we seek to identify in order to be able to deconstruct it, with the aim of restoring organisational reflexivity and making the ordinariness of organisations safe. The second area we propose for reflection concerns discrete resistance in a professional context. Drawing on our past research and on new work, we are interested simultaneously in resistance to the technologies that equip work and in the potential of technologies to support and actualise processes of resistance. This reflection enables us to re-evaluate the question of resistance in research in the information and communication sciences, even though it is becoming increasingly discreet and, for some, has disappeared from the field of work organisation. The new forms of resistance are inextricably linked to the forms of power specific to post-disciplinary organisations, which are for the most part discrete and symbolic struggles. We propose to analyse this resistance in its positive and creative dimensions, both as a revelation of organisational change and as a source of alternative models, reinvention of forms of work organisation and use of digital technologies. Looking at resistance as a dynamic process also enables us to show the importance of discreet, roundabout, invisible forms of resistance, the micro-resistances. These must be taken seriously, as they have the potential to lead to wider, more visible mobilisation and transformation. The readings and reflections that have led to the production of this work also support my choice to pursue research that is closely involved with practitioners and organisations through collaborative action research, which I am defining and documenting. This approach seems to be particularly relevant in a context of continuous transformation of organisations under the impact of digital, economic and managerial developments. The situations of intense uncertainty that characterise current professional practices, reinforced by the advent of hybrid work, require us to observe organisations as closely as possible, to question the points of view, uncertainties and ethical dilemmas of the players, over the long term of a relationship of trust. This approach also responds to a demand from practitioners to be active and involved in the production of knowledge. Exploring the methodological and epistemological issues involved in collaborative action researches highlights a number of concepts: invested knowledge, instituted knowledge, disembedded practical knowledge, and rooted objectivations. These enable us to put our scientific fieldwork into perspective, while attempting to assess its nature and scope, and questioning the validity of the knowledge built up in innovative systems.The critical perspectives that I develop and argue in this work focus simultaneously on forms of domination and resistance, on structures that constrain as well as on the power to act and the reflexivity of actors and work collectives. They take the liberty of producing a social critique that is as close as possible to the actors, based on the ordinary, discreet and sometimes resigned criticisms that are nonetheless present in organisations. In addition to exposing and denouncing unacceptable phenomena in organisations, they propose to address the critical effects of research, by mobilising practitioners to support, experiment with and disseminate the knowledge produced throughout the research construction process, with a view to transformation. In this context, organisational communication, seen both as government and as a productive practice, can help to conceal certain practices and phenomena and make them invisible; it can also transform, highlight and change representations. Communication practices are considered in this work not only as constitutive of organisations, but also as a mode of formation and legitimation of power practices through struggles for meaning and identities, and as an essential economic value of contemporary capitalist production. Incommunication and conflict, as well as hidden, unexpected or unethical communication practices, while often neglected, forgotten or ignored in companies, play a full part in the process of organising, in power practices and in the symbolic production of organisations. Taking an interest in the disorders, dysfunctions and pathologies of communication, or in its invisible, hidden and unspoken practices, enables us to analyse changes in workplace relations and, more generally, the organisation of work. The proposed work is divided into three documents: a reflective and synthetic presentation of twenty years of research in information and communication sciences entitled 'De l'imaginaire des technologies numériques aux violences numériques ordinaires et aux résistances cachées en contexte de travail' (volume 1, 60 pages); a critical presentation of a reasoned selection of work entitled 'Violences numériques ordinaires et résistances discrètes: la face obscure des communications organisationnelles' (volume 2, 283 pages); a detailed curriculum vitae of around thirty pages.< Réduire
Mots clés
Communication organisationnelle
violence
Résistance
travail
Recherche collaborative
Mots clés en anglais
Organisational communication
violence
dark side studies
resistance
participative research
Origine
Importé de halUnités de recherche