Restitutions du patrimoine africain. Fictions et réalités
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Article de revue
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Multitudes. 2019 n° 74, p. 23-29
Association Multitudes
Résumé
Dans un musée qui ne sera pas nommé, Killmonger, le rival de Black Panther, fait face à un masque pillé au cours du sac de Benin City en 1897. Le jeune homme fixe le masque en cage. Il ne tardera pas à le voler à grands ...Lire la suite >
Dans un musée qui ne sera pas nommé, Killmonger, le rival de Black Panther, fait face à un masque pillé au cours du sac de Benin City en 1897. Le jeune homme fixe le masque en cage. Il ne tardera pas à le voler à grands renforts d'effets spéciaux et de ruses rocambolesques qui ont fait la renommée des films hollywoodiens. Ce qui est proprement réjouissant dans la dernière production à succès des Studios Marvel, c'est la manière dont l'industrie de la fiction devient vecteur d'utopie politique. Ce que l'on y voit, fugitivement, c'est le « retour » d'un objet arraché par la force à ses propriétaires, c'est le retour d'un manque, d'un fantôme. Le film fantasme le retour d'un fantôme. La dénonciation des conditions de collecte du patrimoine africain détenu dans les grands musées occidentaux n'est pas nouvelle. En cela, on peut dire que Black Panther descend en droite ligne de Michel Leiris. Dans son journal, à la date du 6 septembre 1931, celui-ci décrivait avec honte l'achat forcé pour 20 francs, et contre la volonté des villageois de Dyabougou, d'une des pièces maîtresses du musée du Quai Branly-Jacques Chirac : « Quand je m'aperçois que deux hommes-à vrai dire nullement menaçants-sont entrés derrière moi, je constate avec une stupeur qui, un certain temps après seulement, se transforme en dégoût, qu'on se sent tout de même joliment sûr de soi lorsqu'on est un Blanc et qu'on tient un couteau dans sa main » 1. Cette stupeur n'empêchera pas Leiris de prendre possession de l'objet et de s'enfuir avec. En novembre 2017, à Ouagadougou, Emmanuel Macron exprimait sa volonté d'opérer des « restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». L'allégresse des étudiants burkinabé n'a eu d'équivalent que le scepticisme outré de certains conservateurs français. Mandatés par l'Élysée, l'économiste et écrivain sénégalais Felwine Sarr et l'historienne de l'art Béatrice Savoy ont remis en novembre 2018 un rapport sur les conditions de restitutions du patrimoine de l'Afrique subsaharienne, immédiatement mis en ligne et publié pour être mis à disposition du grand public 2. La polémique a aussitôt surgi, certains prophétisant un futur marqué de « repentance coloniale » qui « viderait » les musées européens, d'autres s'insurgeant qu'avec une telle démarche, il faudrait « tout » rendre. De quoi at on peur exactement ? Quel est ce monstre horrifiant à tête de Méduse caché sous l'invocation de la « repentance » ? La « collecte », doux euphémisme hérité des guerres coloniales Précisément, ce qui pétrifie tant, c'est le visage d'une colonisation violente, brutale, ayant planifié de manière méthodique l'appropriation de biens culturels et leur transfert dans les grandes institutions européennes. Non pas comme une conséquence annexe de la conquête 1 Michel Leiris, Miroir de l'Afrique (recueil posthume comprenant ses principaux écrits d'ethnologie africaine), édition de Jean Jamin, 1996, p. 195. 2 Restituer le patrimoine africain : vers une nouvelle éthique relationnelle, Rapport remis au Président de la République le 23 novembre 2018, p.27. https://www.icom-musees.fr/ressources/rapport-sur-la-restitution-du-patrimoine-culturel-africain-vers-une-nouvelle-ethique< Réduire
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