L’allocation Barangé (1951-1990). Enquête historique sur la "légitimité" d'une dépense publique
Langue
fr
Chapitre d'ouvrage
Ce document a été publié dans
La légitimité en finances publiques. Contribution à une étude de l'objet finances publiques. 2022
Mare & Martin
Résumé
Les manuels de finances publiques publiés sous la Troisième République pointent comme une évidence la difficulté – voire l’impossibilité – de supprimer une dépense, impossibilité qui, jointe à l’avantage retiré par les ...Lire la suite >
Les manuels de finances publiques publiés sous la Troisième République pointent comme une évidence la difficulté – voire l’impossibilité – de supprimer une dépense, impossibilité qui, jointe à l’avantage retiré par les hommes politiques de la création de nouvelles dépenses, vient aggraver la tendance « budgétivore » des régimes démocratiques. Économistes et politistes ont repris et théorisé, sous diverses formes, cette intuition générale, qui sous-tend les discours de défiance à l’égard de la croissance de la dépense publique, et les propositions visant à plafonner cette croissance par des « règles d’or ». Si l’on suit ce fil, les dépenses (ou certaines dépenses) survivraient à ce qui fonde, au départ, leur légitimité. L’existence de ces analyses constitue, en elle-même, une invitation pour l’historien à aller voir de plus près ce qu’il advient des dépenses inscrites au budget de l’État, lorsque le contexte change au point de rendre caduc l’argumentaire qui avait sous-tendu leur adoption. Pour cette enquête, l’allocation dite « allocation Barangé » offre un cas d’école. Introduite en 1951 comme mesure provisoire en réponse aux difficultés financières des établissements privés, elle survit plus de trente ans à la loi Debré du 31 décembre 1959, dont l’objectif était précisément de régler durablement les problèmes soulevés par les rapports entre l’État et les établissements privés. En retraçant l’histoire de l’allocation Barangé, cette étude, fondée sur des archives publiques et des documents parlementaires, ne prétend pas se prononcer sur la légitimité de la dépense, mais analyser les usages pluriels que les acteurs ont pu faire de cette notion de légitimité, ainsi que leurs effets.La loi du 28 septembre 1951 institue tout à la fois une ressource (dynamique), sous forme d’une cotisation additionnelle aux tarifs de la taxe à la production, une affectation pour cette ressource, l’allocation de scolarité prévue pour tous les élèves du premier degré public ou privé, et un compte spécial du Trésor liant l’une à l’autre. Ce montage baroque trouve son origine dans l’imbroglio politico-juridique que représente la « question scolaire » sous la Quatrième République : il permet d’éviter de subventionner ouvertement les établissements privés, solution inacceptable pour la mouvance laïque. L’allocation scolaire ainsi créée bénéficie à 80% aux établissements publics qui n’en sont pas la cible première (1).De 1951 à 1959, la question de la légitimité de l’allocation (au sens de « conformité au droit ») est au cœur de multiples controverses relatives au montant des transferts, à la définition des bénéficiaires, à l’usage des fonds par les APEL, les départements, les communes etc. L’invocation de « l’intention du législateur » offre ici un levier d’action efficace, enclenchant une série d’actions dont on peut suivre le cheminement, et parfois les va-et-vient, du Parlement au juge administratif en passant par les bureaux du ministère. Elle permet, peu à peu, d’encadrer la réalité de la dépense (2).La loi Debré du 31 décembre 1959 apporte une solution pérenne au problème du financement des établissements privés par l’État, mais ne supprime pas une allocation, sur laquelle comptent des collectivités locales largement mises à contribution pour les constructions scolaires. Inscrite au budget général de l’État à partir de 1966, l’allocation scolaire survit cependant à l’ « explosion scolaire » des années 1960, comme aux lois de décentralisation des années 1980. Une fois la légitimité de la dépense juridiquement établie, rien ne semble pouvoir l’effacer du budget de l’État, sinon l’action lente mais inexorable de l’inflation. La guerre du Golfe précipite cependant sa fin, décidée in extremis en août 1990, alors qu’elle ne met plus en jeu que des montants unanimement qualifiés de « symboliques » (3).< Réduire
Résumé en anglais
The public finance manuals published under the Third Republic point to the difficulty - or even impossibility - of abolishing expenditure, an impossibility which, combined with the advantage politicians derive from the ...Lire la suite >
The public finance manuals published under the Third Republic point to the difficulty - or even impossibility - of abolishing expenditure, an impossibility which, combined with the advantage politicians derive from the creation of new expenditure, aggravates the spendthrift tendency of democratic regimes. Economists and politicians have taken up and theorised, in various forms, this general intuition, which underlies the discourses of mistrust regarding the growth of public spending, and the proposals to cap this growth by means of "golden rules". If one follows this thread, spending (or some spending) would survive what initially underpins its legitimacy. The existence of these analyses is, in itself, an invitation to the historian to take a closer look at what happens to state budget spending when the context changes to the point where the arguments underlying their adoption become obsolete. For this survey, the so-called "Barangé allowance" provides a textbook case. Introduced in 1951 as a provisional measure in response to the financial difficulties of public schools, it survived for more than thirty years after the Debré Law of 31 December 1959, whose aim was precisely to provide a lasting solution to the problems raised by relations between the State and public schools. By retracing the history of the Barangé allowance, this study, based on public archives and parliamentary documents, does not claim to give an opinion on the legitimacy of the expenditure, but rather to analyse the various uses that the players were able to make of this notion of legitimacy, as well as its effects.The law of 28 September 1951 instituted both a (dynamic) resource, in the form of an additional contribution to the production tax rates, an allocation for this resource, the schooling allowance provided for all pupils in the public or private primary level, and a special Treasury account linking one to the other. This baroque arrangement has its origins in the political-legal imbroglio represented by the 'school question' under the Fourth Republic: it avoids openly subsidising public schools, a solution unacceptable to the secular movement. The education allowance thus created benefits 80% of public schools that are not the primary target (1).From 1951 to 1959, the question of the legitimacy of the allocation (in the sense of "conformity with the law") was at the heart of many controversies relating to the amount of the transfers, the definition of beneficiaries, the use of the funds by the APELs, the départements, the communes, etc. (2). The invocation of "the legislator's intention" offers here an effective lever for action, setting in motion a series of actions, the course of which can be followed, and sometimes back and forth, from Parliament to the administrative judge via the offices of the ministry. It makes it possible, little by little, to monitor the reality of expenditure (2).The Debré law of 31 December 1959 provides a lasting solution to the problem of state funding of public schools, but does not abolish an allocation, on which local authorities rely heavily for school construction. The education allowance was included in the general State budget from 1966 onwards, but it survived the "school explosion" of the 1960s and the decentralisation laws of the 1980s. Once the legitimacy of the expenditure has been legally established, nothing seems to be able to erase it from the state budget, except the slow but inexorable action of inflation. However, the Gulf War hastened its end, decided in extremis in August 1990, when it only involved amounts unanimously described as "symbolic" (3).< Réduire
Mots clés
Finances publiques
financement de l'enseignement privé
dépenses d'éducation
Mots clés en anglais
Public finance
financing of private education
education expenditure*
Origine
Importé de halUnités de recherche