Trajectoires animales, trajectoires cynégétiques: Du sanglier gibier au sanglier administré

Abstract

En Europe, l’augmentation spectaculaire des tableaux de chasse au sanglier au cours des quatre dernières décennies suggère une croissance importante des effectifs de l’espèce. La remarquable plasticité du sanglier couplée à une stratégie reproductive similaire à celles d’espèces à cycles de vie courts a conduit à l’expansion de son aire de répartition dans les agroécosystèmes et vers les milieux urbains et périurbains. En France, la chasse au sanglier est érigée en mission d’intérêt général. L’effort de chasse s’institue comme moyen d’ajuster les prélèvements pour répondre aux objectifs de régulation de l’espèce sans toutefois parvenir à contenir les désagréments et conflits qu’elle génère dans différents milieux. Le système actuel de gouvernance de la grande faune soulève plusieurs questions fondamentales au centre des réflexions de cette contribution : 1/ celle de l’efficacité de la chasse : faut-il prélever plus ou de façon plus optimale ? 2/ celle du porter à connaissance des résultats de la modélisation écologique aux acteurs de terrain et 3/ celle de la mise en pratique des modèles, variable selon les contextes socio-écologiques.L’étude de la gestion de la grande faune convoque l’écologie de l’animal, mais également les sphères juridiques, politiques, économiques et culturelles d’un système complexe. L’approche de la thématique par les socio-écosystèmes justifie une approche interdisciplinaire. Nous exposons d’abord les recherches récentes en sciences écologiques sur l’impact des pratiques cynégétiques sur les populations de sangliers à partir des statistiques de prélèvements. La réflexion s’appuie sur un exercice de modélisation et se poursuit par l’étude des composantes humaines du système à partir du matériau collecté sur les bases d’une enquête de terrain de quatre années, conduite dans l’espace rural, péri-urbain et urbain girondin.Les outils de la modélisation et la conceptualisation de la science du prélèvement par la caractérisation et la mesure de différentes variables telles que la pression et l’effort de prélèvements, l’efficacité de la chasse et la capturabilité des animaux, fournissent des clés pour un meilleur investissement des chasseurs en termes de temps et d’espace. Or ces paramètres dépendent des chasseurs et de leurs pratiques. La gestion des sangliers est opérée par des personnes dont les systèmes de valeurs, intérêts et perceptions du sanglier et de sa chasse s’éloignent souvent des orientations des instances officielles dont la priorité est à la régulation du sanglier, quitte à introduire des mutations profondes dans le référentiel de la chasse au grand gibier. En outre, tandis que plus de chasseurs permettraient de prélever davantage, le monde cynégétique ne se renouvelle pas suffisamment. Le débat autour de l’efficacité de la chasse se heurte à l’essoufflement du système gestionnaire. Formidable modèle des mutations environnementales, biologiques et sociétales contemporaines, le sanglier et sa gestion révèlent avant tout les insuffisances, les limites et les contradictions du système actuel. Pour sortir de l’impasse gestionnaire, les défis sont scientifiques et sociaux. Ils résident dans la définition des objectifs, dans l’analyse conjointe des modèles humains et animaux, dans la diffusion et la traduction des apports de la recherche dans une perspective d’application située de modèles élaborés à l’échelle supra-locale.