dc.description.abstract | Le paysage des médias sociaux est éclaté. Voir l’information au prisme des réseaux sociaux ou à la lumière des médias traditionnels offre un tour d’horizon non exhaustif de ces médias dits sociaux qui ont aussi un Dark Web, alternative au visible. Même si les chiffres d’abonnés avancés par les GAFAM dénommés les Big Five, ces firmes géantes américaines qui dominent le marché du numérique ne sont pas vérifiables, ce qui soulève la polémique. Il n’en reste pas moins que le phénomène est d’une ampleur sans égale par le nombre d’individus qu’il concerne, son périmètre géographique, ses influenceurs d’opinons, le temps de connexion quotidien imbriquant réalité et virtualité dans une viralité croissante avec les jeunes générations. Il est incontestable que dans l’histoire d’Internet (Coutant & Stenger, 2012), les médias sociaux marquent la troisième étape. La première était celle du web 1.0, dit web statique, qui proposait une vision descendante de la communication : les sites Internet des organisations, que ce soit ceux des gouvernements ou des entreprises, diffusaient de l’information sans se préoccuper de sa réception. Le web 1.5 ou web dynamique a marqué la deuxième étape et donnait une possibilité aux récepteurs d’interagir, par exemple en achetant un produit. Cette interaction était très limitée et consacrait de fait le pouvoir des organisations sur les individus. L’étape des médias sociaux a complètement renversé la hiérarchie : le web 2.0, dit web social, est celui de la circulation de l’information à un niveau horizontal (Perriault 2012) avec une multiplication des émetteurs, tout le monde peut s’adresser à tout le monde. Si la communication de type 1.0 ou 1.5 continue à exister, son monopole est complètement battu en brèche. Les organisations ont vite compris le danger et elles ont investi dès qu’elles ont pu les médias sociaux : Facebook a été créée en 2004 et a été accessible en 2006 pour tous les particuliers et les entreprises ont pu créer une page certifiée en 2013. Par-delà cette histoire récente du web, les médias sociaux doivent être inscrits dans ce qu’on peut appeler l’utopie d’Internet (Breton 2002, Viallon ), qui s’articule autour d’un triple principe, celui de la liberté, celui de gratuité et celui de l’empowerment. Pierre Lévy (2002) est certainement un des chercheurs français qui a le plus développé d’enthousiasme face à Internet.Alors que la doxa fait de l’individualisme une caractéristique de plus en plus marquante de la société occidentale de la fin du XXème et du début du XXIème siècle, on ne peut que constater que ces médias dits sociaux se développent précisément à cette période, comme s’ils compensaient ce que les individus auraient perdu. On se rappelle d’un côté d’un temps mythique « où c’était mieux » « où on se parlait »,… et dans le même temps, on multiplie les « amis », les « pouces » et autres signes de contact sur les plates-formes. Même si cette vision est séduisante, la réalité est plus complexe. Les sociologues dresse un portrait de l’individualisme qui certes « n’est pas une caractéristique de la seule société occidentale » (Boudon, 2006, XX) (Dumont 1991). A cela Marcel Gauchet remarque que sans le système social, l’individualisme n’aurait pas pu se développer. S’il est vrai que les assurances de toute sorte font glisser la responsabilité du groupe vis-à-vis de ses membres à celle des individus qui vont s’assurer, s’ils en ont les moyens, la société nord-américaine montre que l’individualisme n’est pas forcément lié à un système social développé. Et les médias sociaux ont très clairement une origine nord-américaine. Mais les travaux les plus récents (Maffesoli 2019) évoquent un effritement de cet individualisme au profit des tribus dans le cadre d’une post-modernité. On pourrait voir une application de la théorie des liens forts et faibles de Granovetter (2000). Selon lui dans une société communautaire, tout le monde connait tout le monde et les liens sont donc forts. Dans une société individualiste, les liens sont faibles, car les individus connaissent beaucoup de personnes qui ne se connaissent pas entre elles. On sait que l’argument qui a présidé au développement de plates-formes de type Linkedin a été développé par Stanley Milgram dans son étude intitulée Le petit monde (Kochen 1989) selon lequel avec une chaîne de six personnes tout le monde peut connaître tout le monde. Dès lors la question est de savoir si ces médias sociaux encouragent les liens entre les individus ou s’ils enferment chacun dans la bulle qu’il s’est construite clic après clic. Est-ce que ces médias sont sociaux ou anti-sociaux ? Détruisent-ils les relations dans les couples, les familles, les ami(e)s, les groupes sociaux (entreprises, associations,…) ou bien les entretiennent-ils ? La réponse n’est pas simple et elle nécessite une analyse détaillée de ces plates-formes, de leur fonctionnement, des usages que les individus en ont. Nous nous permettons donc de demander au lecteur de patienter jusqu’à la conclusion pour lui apporter une réponse argumentée. De quoi parle-t-on ? Plusieurs expressions circulent pour désigner ces nouvelles plates-formes numériques : réseaux sociaux, réseaux sociaux numériques, médias sociaux. La première est sans doute la plus utilisée, mais c’est sans doute celle qui est la plus imprécise. Les réseaux sociaux n’ont pas attendu le numérique pour exister. Depuis que les individus se sont organisés pour se répartir les tâches de la vie ou pour pratiquer ensemble des activités, ils ont constitué des réseaux sociaux : la famille, les amis, les collègues, les associations et communautés forment des réseaux sociaux. Il y a donc un abus de langage à parler de réseaux sociaux pour désigner uniquement les plates-formes numériques, car ces réseaux sociaux originels continuent à exister, même si leur fonctionnement a été profondément modifié par la technique. Pour pallier cette imprécision, Wolton a précisé à juste titre « réseaux sociaux numériques ». Mais l’expression a l’inconvénient d’être un peu longue et même son acronyme « R.S.N. » ne s’est pas imposé dans les communautés scientifique et professionnelle. Reste donc les « médias sociaux » qui regroupe non seulement les plates-formes, mais aussi les forums et blogs en tout genre ainsi que les sites web. Cette appellation offre plusieurs avantages. Le premier est qu’elle correspond à une pratique professionnelle de fait : les organisations utilisent de manière complémentaire leurs sites internet et les plates-formes numériques pour communiquer. Ensuite les entreprises construisent des liens entre ces deux catégories et incitent les internautes à naviguer de l’un à l’autre sans que ceux-ci aient l’impression de changer de type de support. Enfin, le terme correspond au concept « social medias » américain qui est la norme aussi bien pour la recherche que pour le monde professionnel outre-atlantique. Nous recommandons donc l’emploi de l’expression « médias sociaux ». | |