Sociologie avec nature : les lectures naturalistes de Durkheim à Bordeaux

Abstract

Lorsque Durkheim arrive à Bordeaux en 1887, il devient collègue d'Espinas, auteur d'une thése de sociologie en 1877 (la première selon B. Valade) sur les Sociétés animales, et prépare sa thèse, De la division..., soutenue et publiée en 1893, dans laquelle il cite à plusieurs reprises la thèse de Perrier de 1881 sur les Colonies animales. Perrier cite peu Espinas, et Espinas recensera l'ouvrage de Perrier dans la Revue philosophique. Pour être complet sur ce "jeu" à trois bien connu, Durkheim s'appuie sur le naturaliste Perrier et se détache du "sociologue" Espinas. Nous chercherons à savoir pourquoi Durkheim fait le choix de la nature contre la "sociologie" existante, celle d'Espinas. Des éléments nouveaux sont apportés par les emprunts naturalistes de Durkheim à Bordeaux, dont nous préciserons les "degrés" probables de lecture effectués, pour préciser son rapport à Perrier, à Espinas, au naturalisme et cerner sa contribution à l'édification de la sociologie par cette voie apparemment paradoxale, plus naturaliste que sociologique. Nous concluerons sur une approche de l'histoire de la sociologie contre une autre : conformément à l'argumentation de Michel (1991), Durkheim (contrairement à Espinas) fait un usage métaphorique et non modélisant du naturalisme, nécessitant de sa part l'élaboration d'une méthode sociologique et non l'accumulation de connaissances naturalistes. Ce qui relativise les limites soulignées par exemple par Guillo (2006). Nous défendrons, par extension, l'idée que le rapport de Durkheim, par exemple à la philosophie, est du même ordre, ce que suggère Paoletti (2012); et que, plus largement encore, la pluridisciplinarité passe par un dialogue entre disciplines fondé sur la reconnaissance ("méthodologique") bien plus que sur la connaissance (encyclopédique et/ou éclectique). Nous concluerons en poussant notre argumentaire jusqu'à son terme : Durkheim a construit la sociologie avec le naturalisme et la philosophie, mais sans être ni naturaliste ni même, philosophe.