Économie numérique et Capitalocène

Abstract

Les articles du numéro 9 d’Etudes digitales, portant sur L’économie numérique et le Capitalocène, s’articulent autour de différentes approches et questions théoriques et méthodologiques, avec également pour ambition de prolonger les interprétations présentées dans le numéro précédent d’Études digitales sur l’économie des plateformes numériques. Nous avons choisi d’introduire ce nouveau dossier par la traduction d’un article de Jason W. Moore, dont le mérite est de dégager les principaux enjeux du débat autour du rapport entre Anthropocène et Capitalocène. L’article de Fabien Colombo s’inscrit dans cette perspective, en s’appuyant à la fois sur les travaux respectifs de Jason W. Moore et de Nick Srnicek (platform capitalism), pour exposer de quelle manière il est possible de faire converger les réflexions et les concepts des deux auteurs autour du Capitalocène à l’ère des plateformes numériques. De son côté, la contribution de Paolo Vignola entend saisir la nature plurielle des cartographies induites par le concept de Capitalocène, tout à la fois d’ordre géographique et économique, mais également symbolique, philosophique et épistémologique. Cette grille de lecture et les enseignements auxquels elle conduit amènent Paolo Vignola à mettre en relief l’actualité critique des réflexions de Félix Guattari sur les trois écologies, environnementale, mentale et sociale, dans le contexte du Capitalocène. Dans leur article, Philippe Béraud et Franck Cormerais s’appuient sur un chapitre précis de l’ouvrage de Bernard Stiegler, Qu’appelle-t-on panser ? 2. La leçon de Gretha Thunberg, pour tenter de comprendre la position de ce philosophe face à l’approche de Jason W. Moore sur le Capitalocène. L’intention des auteurs ne consiste pas à épuiser l’analyse des termes de la controverse mais à identifier les spécificités de la réflexion stieglérienne. L’article de Fabrice Flippo s’intéresse à l’analyse de la nature de l’économie numérique, considérée à la fois comme une rupture et comme une inscription dans la continuité de l’économie productiviste. En désignant les contradictions induites avec les enjeux écologistes, l’auteur en appelle à « une décroissance voire une collapsologie du numérique ». La contribution de Maxime Ouellet s’inscrit dans une perspective assez proche, en identifiant les rapports entre les technologies numériques et la crise écologique à l’ère du Capitalocène. L’auteur pointe la responsabilité du capitalisme cybernétique, à l’intérieur duquel la gouvernance algorithmique entend simultanément optimiser la gestion des problèmes environnementaux et favoriser les nouvelles formes de mise en valeur du capital. En combinant les approches du numérique et du Capitalocène, la contribution d’Armel Campagne et de Marc-Antoine Pencolé montre que les conséquences environnementales du capitalisme s’accompagnent de phénomènes caractéristiques, liés à la perception des causes du dérèglement climatique, à la redistribution spatiale des pollutions et à résolution des antagonismes sociaux aux dépens de l’environnement. De son côté, Gérard Dubey analyse dans son article la continuité du processus qui lie les caractéristiques de la numérisation du monde et les représentations issues de l’ère thermo-industrielle. L’auteur met en relief l’adaptabilité des modèles d’organisation sociale du capitalisme industriel aux infrastructures numériques, en questionnant les fondements de cette convergence.Dans un article conclusif, Philippe Béraud et Franck Cormerais s’interrogent sur la nature du capitalisme de plateforme. Dans cette perspective, l’hypercapitalisme est défini comme un régime disruptif qui s’appuie sur les infrastructures numériques pour faire converger l’extension illimitée des places de marché, la captation et la valorisation des données, l’externalisation et la sous-traitance généralisées, ainsi que l’émancipation de l’économie de plateforme vis-à-vis des contraintes étatiques et institutionnelles. Dans sa rubrique juridique, Annie Blandin traite de la question de la régulation des contenus haineux sur Internet. En s’interrogeant sur la portée des moyens juridiques qui contraignent les plateformes à intervenir pour retirer ces contenus, elle montre que ce type de régulation peut contribuer à la confusion entre fonctions régaliennes et activités d’entreprise.