L"enquête de 1236-1237

Abstract

Précédant d’une dizaine d’années les enquêtes diligentées par saint Louis et Alphonse de Poitiers, la grande enquête de 1236-1237 en Bordelais, fait suite à une plainte adressée à Henri III roi d’Angleterre et duc d’Aquitaine, le 26 février 1236 (n.st.), par le clergé bordelais, sur les exactions des baillis ducaux, menées principalement en Entre-deux-Mers sous couvert d’hébergements ou de réquisitions et qui, si l’on en croit la lettre, seraient responsables de la mort ou du départ des deux tiers des habitants de cette région. Elle est conduite par deux commissaires nommés le 27 novembre 1236, Jean, abbé de la Grâce-Dieu, et Hubert Hosat, chargés d’enquêter sur les libertés et privilèges des habitants de la région. Du 5 au 15 février 1237 (n.st.), dans la grande chambre du château de Bordeaux, les deux commissaires entendent les prévôts, les chapelains et les représentants des communautés nommément désignés.Le texte qui rapporte cette enquête, consigné pour sa version la plus complète dans le petit cartulaire de La Sauve-Majeure, se décompose grosso modo en cinq parties. Après l’exposé de la lettre du 26 février 1236 (n.st.), du mandat des commissaires et de la copie d’une lettre de Jean sans Terre, datée du 16 avril 1214, confirmant aux prud’hommes de l’Entre-deux-Mers les libertés et franchises en usage pendant les règnes d’Henri II Plantagenêt et de Richard Cœur de Lion, arrivent les dépositions des jurati sur les droits et obligations des habitants de l’Entre-deux-Mers. L’enquête procède là à une sorte d’aveu de droits, rappelant de loin la démarche des Weistümer. À l’instar de l’ensemble de l’enquête, cette partie est le fruit d’une réécriture, mixant des paragraphes construits comme des censiers et d’autres dont la matière narrative est plus développée. Viennent ensuite les excès généraux des baillis ducaux, ainsi que les aliénations du domaine royal. L’enquête se termine avec les « injures spéciales » faites dans les paroisse de l’archiprêtré d’Entre-deux-Mers ; chaque paragraphe est l’écho de ces Tormented voices (Thomas N. Bisson) où, paroisse après paroisse, s’égrène une litanie de violences faites à l’encontre les chapelains, des veuves, des orphelins ou des laboureurs dont les dommages, estimés en argent, varient de 10 sous à 5000 marcs.S’inscrivant dans des pratiques probatoires attestées depuis le début du XIIe siècle pour les domaines comtaux gascons, cette enquête consigne la mémoire et les représentations sociales d’une élite de notables ruraux assurant traditionnellement la médiation du dominium princier, supportant mal les transformations et le resserrement de l’encadrement administratif. À défaut d’être suivie de sanctions connues, l’enquête permet de fixer les devoirs et obligations des hommes de l’Entre-deux-Mers. Une quarantaine d’années plus tard, en 1274, la grande série des Reconnaissances féodales (Recognitiones feodorum in Aquitania) reprend pour les reconnaissances des habitants de l’Entre-deux-Mers les principales dispositions coutumières mises par écrit en 1237, avec quelques nuances.