Peuples autochtones et inclusions différentielles en Arctique
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Document de travail - Pré-publication
Abstract
En mai 2019, Danmarks Radio diffuse le documentaire « Byen hvor børn forsvinder ». Le reportage porte sur les violences domestiques et sexuelles, l'alcoolisme et le suicide des jeunes à Tasiilaq, sur la côte Est du Groenland, ...Read more >
En mai 2019, Danmarks Radio diffuse le documentaire « Byen hvor børn forsvinder ». Le reportage porte sur les violences domestiques et sexuelles, l'alcoolisme et le suicide des jeunes à Tasiilaq, sur la côte Est du Groenland, le tout se déroulant dans un contexte où le manque de personnel qualifié rend difficile la gestion de la situation. Les habitants s'organisent, en rédigeant des pétitions ou encore en utilisant le théâtre pour déclencher la parole. La réception du documentaire est ambivalente : pour certains, il ne fait que perpétuer une vision très négative des conditions de vie au Groenland, mais pour d'autres, il s'agit d'une nécessaire mise en lumière de ces violences. Sur l'ensemble de l'île, on estime en effet que 20 % des enfants nés en 1995 ont été victimes d'une agression sexuelle et le taux de suicide atteint 75,6 pour 100 000 habitants entre 2013 et 2017. À titre de comparaison, il était de 31,9 pour 100 000 habitants en Lituanie en 2016, le pays considéré par l'Organisation Mondiale de la Santé comme ayant le taux le plus élevé au monde. Les seules régions du monde partageant des taux proches de ceux du Groenland sont le Nunavut et le Chukotka. Après quelques semaines de débats publics, le parlement du Groenland vote une proposition qui aboutit à une demande d'aide au Danemark, malgré l'opposition initiale de la ministre de la santé du Groenland, qui craignait que les solutions apportées ne soient pas adaptées aux réalités locales. Il faut dire que l'évènement a été l'occasion de voir réapparaitre des propositions aux relents colonialistes : Søren Espersen, membre du parti d'extrême droite Dansk Folkeparti, propose de placer le Groenland partiellement sous tutelle, et évoque alors l'idée de placer les enfants de Tasiilaq dans des familles d'accueil, au Groenland ou au Danemark-rappelant alors les pratiques de placement forcé des enfants ayant eu lieu dans les années 1950. Cet exemple montre la dimension double de la continuité des structures coloniales en Arctique : d'une part, à travers la persistance de représentations tendant à inférioriser les populations autochtones qui y vivent, et d'autre part, une certaine communauté d'expérience qui se dessine. En effet, un certain nombre de recherches ont montré, au Groenland comme ailleurs en Arctique, le lien entretenu entre prévalence du suicide et transformation des modes de vie liés à la colonisation. Au Groenland, on observe une très claire augmentation des suicides dans les années 1970, peu de temps après les politiques de « modernisation » mises en place par les autorités coloniales danoises [Bjerregaard et Larsen, 2015]. En mai 2016 à Iqaluit au Nunavut, se tient un sommet afin de développer des actions de prévention contre le suicide ; au Nunavik, en janvier 2019, une pétition rassemble plus de 50 000 signatures pour réclamer l'état d'urgence de la lutte contre le suicide. Dans ces trois situations, le traumatisme historique est clairement identifié comme un facteur de risque, tout comme la pauvreté qui touche particulièrement les populations autochtones. Si elles sont inégalement touchées par ce phénomène à travers l'Arctique, elles ont en partage l'expérience de la violence associée à la colonisation. En Arctique, alors que les revendications territoriales des peuples autochtones ont abouti à des formes de reconnaissance politique, les structures socio-économiques restent marquées par de profondes inégalités qui distinguent en particulier cette catégorie de la population. Dès lors, la décolonisation n'est pas à considérer uniquement comme un évènement politique, mais bien comme un processus, dynamique, qui ne se joue pas uniquement à l'échelle des États, mais également entre les différents groupes sociaux qui habitent l'Arctique. Bien des géographes, comme Sarah Hunt et Sarah de Leeuw, n'hésitent pas à rappeler qu'au regard de la situation des peuples autochtones dans le monde, il est parfois difficile de parler de « post-colonial » [2018] : les structures sociales qui résultent de l'idéologie coloniale continuent à produire des différences hiérarchiques, tant symboliques que matérielles, entre peuples autochtones et non-autochtones, mais également au sein même des groupes autochtones, qui ne sont pas homogènes. S'ils ne sont pas les seuls habitants de l'Arctique, les peuples autochtones ont en partage des indicateurs sociaux bien plus bas que les moyennes nationales des États dont ils ont la citoyenneté. Ils sont une minorité au sens démographique-ils représenteraient environ 500 000 personnes sur plus de 4 millions d'après les estimations du secrétariat des peuples autochtones auprès du Conseil de l'Arctique, mais ils sont aussi minorisés sur le plan social et politique. D'où viennent ces phénomènes de hiérarchisation qui produisent des différences de statuts sociaux entre les autochtones et les non autochtones en Arctique et quelles en sont les dimensions spatiales ?Read less <
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