Catégories d'identification et subjectivité d'un groupe social invisible : les "jeunes précaires" en France et en Allemagne

Abstract

La forme atypique de l'identité sociale et politique des jeunes salariés en situation de précarité témoigne des transformations majeures de l'appareil productif, sous l'effet du développement de la flexibilité et de la précarité de l'emploi. L'expérience des vies précaires, sur le mode de la discontinuité – de l'emploi, de la protection sociale – rend normalement impossible l'unification des individus en un groupe social. Les identités précaires sont à l'image des conditions de travail précaires : éclatées, dispersées, fragmentées par des tendances contradictoires. Parmi les nombreuses catégories mobilisables, les jeunes recourent davantage à des catégories culturelles au détriment des catégories forgées par les organisations – politiques ou syndicales – représentant le salariat et qui font de l'identité politique le reflet de la position occupée dans le monde du travail. En raison d'un déclin de ces organisations, la construction de l'identité collective se fait davantage selon un processus endogène, renforçant l'individualisation et la fragmentation. A travers une comparaison franco-allemande de la diversité des catégories d'identification disponibles, on développera, en s'inspirant de l'approche de l'identité de Martina Avanza et Gilles Laferté, une approche théorique permettant de rendre compte de processus de construction identitaire en apparence paradoxale : celui de la formation d'une identité collective en positif d'un groupe invisible, voire nié. On expliquera à partir de la diversité des catégories et des édifices normatifs nationaux la construction des identités précaires plurielles, selon deux formes polaires : celle d'une identité négative et individualisée, celle d'une identité se situant au coeur des rapports sociaux et s'élaborant dans l'expérience de la conflictualité sociale.